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Mauritanie: récits de l’intérieur de la prison du KSAR

Par : Ahmed Jiddou

Quand tu le vois de loin, avec un regard neutre, sans analyse ou imagination, tu diras qu’il s’agit de simples murs jaunis par le temps, dressés dans une zone dont le calme contraste avec les bruits d’une capitale. Des murs qui ressemblent à ceux protégeant un fort contre toute invasion et surveillés par quelques gardes. Telle est l’image qui se dégage, à première vue, de la prison civile du Ksar.

Ahmed Jiddou, journalisme membre du FMJDH

 La prison du Ksar est un lieu qui pullule de récits et d’histoires de toutes sortes ; un lieu de paradoxes aussi. Des histoires qui côtoient la réalité et la recomposent. C’est un pénitencier où chaque prisonnier a une histoire qui attire l’attention et où chaque lieu laisse ses empreintes sur la vie des personnes qui le peuplent.

       Se remémorant son passage dans cette prison, Moustapha Maouloud raconte : « quand je suis entré dans cette prison, j’étais dans une situation d’attente. J’étais avec mes compagnons desquels j’ai été finalement séparé. Les gardes m’ont remis au « chef » du hangar n°2 (un détenu) qui m’a demandé quel était mon problème ».

      Moustapha, jeune activiste, a passé quatre mois dans la prison du Ksar. Son « délit » : avoir manifesté pour dénoncer un verdict de trois mois de prison ferme prononcé, le 14 juillet 2016, à l’encontre de l’activiste Cheikh Baye du Mouvement de contestation du 25 février. Il a été condamné, avec deux de ses compagnons d’infortune, à deux ans de prison ferme, alors que deux autres ont écopé d’une peine plus clémente (2 ans de prison avec sursis). Moustapha et ses compagnons ont cependant été libérés après avoir interjeté en appel.

ECHOS DES CACHOTS

      La prison civile du Ksar se compose de cellules encombrées de personnes, d’odeurs, d’idées et d’expériences diverses, séparées par des cours et comprenant une douche. La plus grande de ces cours est la numéro 2. La prison a été conçue initialement pour accueillir 100 détenus mais cette capacité est largement dépassée.

      Cette maison d’arrêt était réservée essentiellement aux salafistes, mais elle accueille également des prisonniers de droit commun et des individus arrêtés pour délit d’opinion, « comme mon cas », dit Jemal, l’un des compagnons de Moustapha placés en détention pour le même motif. Et Jamal d’ajouter, avec amertume : « la prison abrite également quelques mineurs » !

      « A notre arrivée, nous avons été placés dans le hangar numéro 2 où se trouvaient alors 20 détenus ; mais quelques jours après, nous fûmes rejoints par les pensionnaires du hangar numéro 3 ; ce qui a encore accentué l’état d’encombrement portant le total des prisonniers à plus de 40. Par exemple, la pièce dans laquelle je me trouvais avait des dimensions de 4 m sur 4 et accueillait 7 détenus », raconte Jemal d’un ton grave.

      Le laisser-aller et le manque d’entretien sont deux choses qui s’allient pour rendre la vie des prisonniers atroce. Moustapha nous a raconté quelques pans de cette vie épouvantable : « la première chose qui a attiré mon attention, en entrant dans ma chambre, était l’odeur insupportable. Les portes des toilettes étaient défoncées comme si elles avaient subi les affres d’une guerre quelconque. Les premiers jours, je me trouvais avec trois compagnons, mais j’ai été transféré dans un autre hangar où chaque cellule de 4m sur 4 était occupée par 8 à 12 détenus.

      Dans cette geôle, se trouvent des toilettes sans portes et sans toits et dégageant des odeurs nauséabondes. Il arrivait qu’un détenu attende cinq heures pour avoir son tour dans les douches », affirme Moustapha. On ne peut compter les exactions et les maux que subissent les détenus de la prison du Ksar. En tant que nouveau-venu, tu es soumis à des bastonnades de la part des gardes, surtout quand tu es fiché comme un drogué, ou si on te surprend avec un téléphone. Il arrive même qu’on te place dans une cellule individuelle.

      « Il y a des supplices quasi quotidiens, comme par exemple, être tiré de son sommeil en recevant des coups de rangers », raconte Moustapha. Et ce prisonnier de poursuivre : « il arrive aussi, m’ont dit des détenus, que des fouilles inopinées soient menées par les gardes.

      Des prisonniers sont alors pris, menottés et conduits dans la salle destinée initialement au sport où ils sont torturés de manière sauvage pour les obliger à sortir certains objets ou produits prohibés. Certains prisonniers m’ont raconté que la prison, avant d’être destinée aux salafistes et que ceux-ci se soient emparé du pénitencier, des choses immorales s’y déroulaient mais se sont arrêtées depuis. Ces pratiques demeurent, cependant, largement répandues dans la prison de Dar Naim. Concernant la drogue, elle existe bien à l’intérieur de la prison du Ksar et les prisonniers la consomment, ça je l’ai vu de mes propres yeux ».

      L’encombrement des prisons engendre une réalité carcérale pleine d’amertume. L’avocat et militant des droits de l’homme Mohamed El Mamy Ould Moulay Ely pense que : « la surpopulation des prisons transforme ces dernières de lieux destinés à éduquer et aider le prisonnier à sa réinsertion dans la société en une « école » où il entre pour sortir plus aguerri dans le crime et plus dangereux ».

      Les hangars ne se ressemblent pas ; ils reflètent les disparités sociales entre les mauritaniens. Par exemple, le traitement des détenus du hangar numéro 8 est différent de celui réservé à ceux du numéro 3. Les pensionnaires du numéro 8 (appelé par les détenus Tevragh-Zeina, le quartier chic de la capitale), généralement des responsables accusés de détournement, bénéficient d’un traitement spécial.

Chaque détenu dispose d’une chambre bien propre équipée de téléviseur plasma et ne mange pas la nourriture destinée aux autres prisonniers. Il reçoit ses visiteurs dans le bureau du colonel qui supervise la prison, contrairement aux autres détenus qui sont séparés de leurs proches par une barrière. Ces prisonniers d’un genre particulier reçoivent leurs médecins quand ils le veulent, affirme Baye Youssef, l’un des compagnons de Moustapha arrêté en même temps que lui.

 LE MALADE N’A AUCUN DROIT

      Le dispensaire de la prison ressemble au reste de ses autres locaux. L’activiste Baye Youssef nous relate quelques-uns de ses malheurs à l’intérieur de la prison : « quand on est arrivé en prison, j’ai aussitôt alerté le gestionnaire sur mon état de santé. J’avais alors une forte fièvre et je lui ai dit que j’ai besoin de soins d’urgence, mais cela l’a laissé indifférent. J’ai demandé l’aide de certains détenus qui m’ont alors prodigué des soins à la manière traditionnelle.

Mon mal s’est aggravé au fil des jours sans que le gestionnaire prête la moindre attention à ce que je lui ai dit à mon arrivée. Les hémorroïdes m’empêchaient de m’asseoir et les douleurs qu’ils provoquaient en moi étaient accompagnées de saignements. Les douleurs étaient telles, un jour, à 2 heures du matin, que je me suis mis à crier, ce qui a poussé les détenus à alerter les gardes ; après 30 minutes, j’ai été transporté au dispensaire de la prison ; mais, hélas ! Le médecin était absent.

      Et Baye de continuer la narration de ses malheurs : « les gardes ont alors demandé l’aide d’un prisonnier qui avait quelques connaissances en médecine. On m’a alors ramené dans ma chambre à l’aube et je pensais que ma situation allait s’améliorer et que le médecin me rendrait visite mais mes douleurs et les saignements m’ont accompagné durant les 25 jours que j’ai passés en prison. »

      Jamal Hamoud a aussi relaté l’histoire d’un vieux prisonnier malade du cœur et devant subir une opération dont le coût est estimé à un million d’ouguiya. Mais les responsables de la prison refusent de le soigner ou de le sortir pour subir cette opération. Il a raconté aussi l’histoire de cet autre détenu malade du diabète qui a perdu ses doigts et qui est abandonné à son sort sans aucun soin.

       La prison civile du Ksar donne l’image d’un ensemble d’îlots, chaque hangar étant fermé sur ses occupants, sans possibilité de s’adonner au sport ou de mener des activités favorisant l’insertion des détenus à la fin de leurs peines. Elle dispose d’une bibliothèque mais non disponible ces jours-ci. Le prisonnier est condamné à rester dans sa chambre avec ses compagnons d’infortune. On surveille même l’entrée de tout livre craignant qu’il ne renferme des idées gauchistes ou contraires à l’idéologie régnante dans le pays.

Les gardes refusent toute publication qu’ils ne comprennent pas prétextant qu’il s’agit d’ouvrages chiites ou de livres marxistes néfastes. « Une fois, raconte Jemal Hamoud, ils m’ont privé d’un livre de K. Marx, « la Misère de la Philosophie », qu’un ami avait amené pour moi. Ils prétendent interdire ces livres « pour notre bien » !

LES RATS DU CACHOT

      Il y a dans la prison des lieux pour punir les détenus. Le plus connu d’entre eux est celui de l’isolement auquel on donne le nom de « soulourou » (cachot) d’1 m x 1m, lieu sale infesté de moustiques, de rats et d’autres bestioles. Moustapha raconte sa première expérience de « soulourou » suite à une bagarre avec un prisonnier condamné pour trafic de drogue. Bagarre survenue suite à une discussion au cours de laquelle Moustapha avait déclaré que la drogue est à l’origine de tous les crimes, provoquant, ainsi, l’ire de ce détenu qui n’hésita pas à l’agresser. Bastonnés par les gardes, ils se sont retrouvés tous les deux enfermés dans le « soulourou ».

      Celui qui entre dans la prison du Ksar, qu’il soit détenu ou simple visiteur, se trouve tout de suite sidéré et envahi par un sentiment de solitude et d’isolement ; il ne cessera de s’étonner en franchissant chaque pas et en regardant tout ce qu’il voit.

Cet article est initialement écrit en arabe, ceci est une traduction. La version originale a été publiée sur le blog Rasef22, en 2016. Il a été réalisé à la suite d’une formation avancée sur les connaissances juridiques et éthiques permettant d’assurer une meilleure couverture médiatique des droits humains. La production fait partie d’un lot de 20 reportages, qui ambitionnent de stimuler davantage le débat public sur les droits humains en Mauritanie.

FMJDH