Tous les ans le phénomène de la circoncision en Mauritanie fait des milliers de victimes femmes et filles et que la société passe sous un silence inquiétant. Mais Taraha, une victime de ce phénomène, tente de rompre ce silence.
« Une scène hallucinante, un mal terrible dont je ressens encore l’effet à chaque fois que me remémore l’incident.
Deux femmes me trainent par terre et me maitrisent tandis qu’une troisième se met à couper une partie de mon appareil génital avec une lame tranchante qui répandit mon sang partout au tour de moi avant de m’évanouir sous l’effet de la forte douleur doublée de la frayeur causée par la surprise ».
Ainsi nous raconte Taraha Mahmoud, les yeux hagard et pleins d’amertume, son expérience avec la circoncision. Elle ne cessait en parlant, confuse, et avec une grande peine, de bouger les mains dans tous les sens tentant d’en parler comme d’un lointain passé. « J’avais six ans et cet acte a constitué pour moi un terrible choc dont les séquelles continuent de m’assaillir ».
La souffrance de Taraha, campagnarde de trente ans venant de M’Bout dans l’est mauritanien, va changer le cours de sa vie qui sera à jamais marquée par les stigmates corporels et les effets psychologiques laissés par sa circoncision. Elle soulève le bout de son châle pour permettre à des gouttes de sueur de perler sur sa tempe. Elle tente de concentrer son regard sur le toit de son humble habitation dont peinture décrépie laisse paraître des formes vagues et incohérentes comme un tableau surréaliste. Elle continue comme si elle fuyait en vain son passé.
« Il y deux mois, j’étais le témoin d’une opération de circoncision de ma petite nièce âgée d’à peine deux mois. J’ai tenté en vain de m’y opposer de toutes mes forces. L’acte a été perpétré des mains d’une tradi-praticienne guérisseuse traditionnelle en présence d’un groupe de femmes. Les pleurs de la fillette aux pieds ligotés perçaient les tympans. Et Taraha d’ajouter que « si cette fillette survivait à cette atrocité, sa vie serait fade et sans âme. Elle souffrit de l’ablation de son humanité et de sa dignité ».
Taraha n’est pas de l’avis de ceux qui prétendent que la circoncision est le titre de la pureté et de la chasteté, et soutient le contraire, considérant que la circoncision fait perdre à la femme son humanité et se féminité. Taraha considère que l’une des raisons de la propagation du phénomène de la circoncision féminine dans notre société « est que la croyance des individus veut que ce soit l’Islam qui conseillerait la circoncision des filles avant l’âge de six ans pour la purifier et la préparer à pratiquer les rites religieux tels que le jeûne et la prière ».
Et d’ajouter que nombreux ici croient que la circoncision prépare la femme au mariage pour être fidèle et protégée ce qui a vite fait de répandre très vite et à grande échelle cette pratique. Et malgré que la plupart des mères aient subi cette pratique, elles l’imposent à leurs progénitures pour qu’elles bénéficient du regard clément de leur société.
FROIDEUR SEXUEL
L’impact et les séquelles de la circoncision des filles sont néfastes et dangereuses à court et long terme comme le souligne Taraha « Par expérience la circoncision anéantit le désir charnel chez la femme et la détruit entièrement. » Ce que dit Taraha est confirmé par le spécialiste en gynécologie, le Dr Abdallahi Ould Abderrahmane : « Cette mutilation forcé de l’appareil génital de la femme provoque des dégâts énormes et dangereux, et la plupart des femmes que j’ai examiné de celles qui ont subi la circoncision souffrent de stérilité, de dépression et d’abattement et de passivité ou froideur sexuelle ».
A court terme la fille circoncise subit des inflammations microbiennes dont certaines appellent des interventions chirurgicales pour extraire les masses qui proviennent de ce genre d’inflammations provoqué par l’utilisation d’un outil non stérilisé. La circoncision provoque aussi d’après le docteur Abdallahi des difficultés à dégager les urines ce qui affecte la vessie à cause de la prolifération de microbes, pareil pour la menstruation.
C’est à long terme qu’elle provoque des adhérences dues à l’opération empêchant le dégagement définitif des menstrues. Cela favorise la prolifération des maladies sexuelles et des effets négatifs sur l’utérus et les ovaires, tout en créant un environnement propice àla contamination. Taraha essaye de sourire en changeant un tout petit peu le sujet. Avec un sourire teinté de raillerie et de chagrin, elle dit tenter d’être satisfaite de sa vie « dépourvue de joie ».
Interprétant la vie de Taraha, le Dr Abdellahi affirme que la circoncision entraine des complications psychiques à long terme qui peuvent parfois entrainer la mort. Il a rappelé qu’il y a peu de temps il a diagnostiqué une petite fille de sept jours victime d’une opération ratée de circoncision. Selon de récentes statistiques publiées par l’OMS au mois de février 2016, le pourcentage de circoncisions en Mauritanie avoisinerait les 70%. Le plus clair des cas de celles-ci se pratique dans la région du fleuve et les zones de l’est du pays contrairement aux régions et zones du nord où elle diminue sensiblement.
Madame Yenserha Mohamed Mahmoud, conseillère de la Ministre des Affaires Sociales, de l’Enfant et de la Famille au Gouvernement mauritanien, estime que son pays tente de faire baisser l’ampleur du phénomène de circoncision qui a un ancrage historique dans la société mauritanienne. « Le Gouvernement mauritanien a élaboré en collaboration avec le Fonds des Nations Unis pour la Population un programme de lutte contre la circoncision et son éradication de la société, ainsi qu’un second programme spécifique à l’enfance ».
Les dernières statistiques publiées par le Ministère en l’année en cours indiquent une régression du taux de la pratique de circoncision dans le pays à 69% au lieu de 72% enregistré en 2007, ce que la conseillère de la Ministre considère comme « une conviction de la part des parents qu’il faut s’acheminer de manière bénévole vers l’abandon de cette pratique ».
Dans l’histoire du Dr Abdallahi, c’est dans le coma que les parents ont acheminé leur enfant vers l’hôpital après l’échec de la médicine traditionnelle à arrêter son hémorragie. Le docteur a déclaré qu’ils ont réussi à lui sauver la vie par miracle après plusieurs opérations de secours et une transfusion sanguine. A la question de savoir si les parents de l’enfant ont été interpellés par la justice, le Dr a répondu par la négation à cause de la passivité des autorités au sujet de la circoncision, selon ses propos.
Et le Dr Abdallahi de nous aviser sur le recoupement de ses propos au sujet des effets que laissent l’opération de circoncision avec ce que nous a rapporté Mariam, camarade de Taraha et avec laquelle elle partage le métier de vendeuse d’étals au marché des légumes de la capitale.
Dans la cabane qui juxtapose celle de Taraha, habite Mariam, camarade de celle-ci. Dans son sobre ameublement et sur ses tapis délabrés, sableux et poussiéreux au milieu d’un grand désordre de bidons et de futs d’approvisionnement en eau et quelques ustensiles éparpillés, Mariam nous a parlé de la souffrance de Taraha causée par sa circoncision : « Mon amie Taraha a connu plusieurs difficultés physiques et moraux dont en particulier des états inflammatoires aigus au niveau de l’utérus suite à des adhérences causées par l’opération subie en bas âge ».
Mariam bégaie en racontant les déboires de son amie comme si elle en ressentait la culpabilité d’en parler en dévoilant les secrets de sa complexe « Taraha s’est mariée deux fois qui se sont soldés par des divorces et deux fausses couches. Sa vie privée est triste ». Au marché des légumes, Mariam aligne son maigre étal l’œil rivé sur son amie Taraha qui s’est murée dans un silence de carpe depuis plusieurs minutes après que son amie ait donné un pan de sa vie intime.
Doucement, Taraha se met à trainer son corps incapable de se tenir rapidement debout dans une scène qui ne correspond pas à son âge, la trentaine à peine. Mariam commente la scène en focalisant son regard sur son amie « Pendant très longtemps, Taraha s’est repliée sur elle-même en se cachant des autres. Elle refusait d’aller aux occasions sociales et cérémonies de ses camarades. Pendant toute cette période d’isolement je lui rendais constamment visite parce que voisine immédiate et camarade. J’étais témoin de ses larmes, souffrance et nuits d’insomnie.
Après cela, Taraha s’est soignée des séquelles physiques et psychiques de la circoncision avant de s’approprier un petit étal de vente de légumes au marché de la capitale grâce à l’aide de quelques proches et dont elle s’appuie dans ses besoins courants. Tous les soirs elle revient dans sa cabane pour y rencontrer les siens et son amie pour partager les joies et peines de la vie. Et Mariam de conclure « Je connais bien Taraha et mesure l’ampleur de sa tragédie, mais ce qui étonnant c’est qu’elle n’a à aucun moment perdu l’espoir et continu d’espérer des lendemains meilleurs qui viendront inévitablement. »
Cet article est initialement écrit en arabe, ceci est une traduction. La version originale a été publiée sur le site ww.ufemm.mr en2016. Il a été réalisé à la suite d’une formation avancée sur les connaissances juridiques et éthiques permettant d’assurer une meilleure couverture médiatique des droits humains. La production fait partie d’un lot de 20 reportages, qui ambitionnent de stimuler davantage le débat public sur les droits humains en Mauritanie.
FMJDH