Depuis plusieurs décennies, le port de l’amitié situé à l’ouest de Nouakchott constitue le centre pour grand nombre de travailleurs porteurs (Dockers). Le calme des murs du port enferme derrière lui le bruit sur de nombreuses histoires insolites qui se répètent et dont les héros sont des personnes oubliées. C’est dos pliés, fronts triturés, regards fatigués et signes éloquents de la misère visibles que se massent des groupes par dizaines dans l’enceinte à ciel ouvert du port emmuré par un rempart jouxtant le bâtiment de celui-ci et dans une atmosphère frappée du sceau et du calme et de la sérénité, du moins en apparence.
De prime à bord et dès l’apparition des premiers rayons du soleil, les travailleurs paraissent occupés aux jeux des cartes ou autres semblables et à l‘expectative sous l’ombre du mur ! Un mystère qui autant peut être bref autant il peut être long. Plus on s’approchait cependant de la scène et mieux on en cernait les contours.
Même si la catégorie des dockers au port est composite, il n’en demeure pas moins que la plupart parmi eux appartient à la couche des Harratines (esclaves affranchis) qui ont souffert par le passé de l’esclavage ainsi que de leur privation du droit à l’enseignement, ce qui au bout du compte a jeté la plupart de ceux-ci sur le chemin des métiers manuels dont celui de dockers et videurs des containers sur les tarmacs du port de Nouakchott.
RÉALITÉ QUE RENVOIE L’IMAGE SUR LE TERRAIN
Sitôt arrivé au port de Nouakchott se dévoile aux yeux que la grande majorité des dockers sont des harratines le teint noir foncé, les bras suant, les traits marqués par la misère au quotidien ! Ce sont des milliers de harratines qui ont quitté le joug de l’esclavagisme vers une liberté enchevêtrée dans les difficultés de métiers qui se pratiquent dans des conditions déplorables sans la moindre garantie de sécurité. Amar Ould M’Jaibir est l’un de ceux-là : la soixantaine, il travaille au port depuis près de quarante ans et est en charge de deux familles.
Parlant des conditions du travail, Amar dit : « Je n’ai jamais connu de conditions plus pénibles que celles dans lesquelles je vis actuellement. Je reste plus d’un mois sans gagner plus de 4000 ouguiya (soit 12 dollars américains) ! Et plus d’une semaine passe sans que je puisse offrir le moindre cadeau un tant soit peu à mes enfants scolarisés.
Malgré ses traits tirés et les amertumes, Amar fait montre d’une assurance en soi en s’exprimant d’une voix pleine et expressive : « Je suis sûr que si le problème des travailleurs n’est pas réglé au port, la situation débordera de façon définitive ! Je dis cela par expérience, car je travaille ici depuis 1977 et j’y ai vécu sous les différents régimes politiques successifs. Quarante années d’endurance, conclut-il, cela suffit ! »
Il règne parmi les travailleurs dockers du port de Nouakchott une exaspération visible. Ils se plaignent de l’amoindrissement des opportunités du gagne-pain quotidien par manque de travail sur les containers à cause du nouveau système instauré qui permet désormais leur sortie du port par voie de camions pour être directement déchargés dans les magasins des marchés de Nouakchott, ce qui prive les dockers leur principale, voire unique, source de gain.
C‘est vraisemblablement le cas de Mehdi Ould Abidine, la cinquantaine, et le visage fortement entamé par l’endurance et le dur labeur. Père de quatre enfants, il est l’un des rares maures dockers au port de Nouakchott depuis 1999. Mehdi parle d’une voix dominée par un mélange de colère, de peine et d’amertume : « Quand j’étais venu travailler la première fois en 1999 comme docker au port, je pensais que c’était le meilleur métier manuel. Mais très tôt la déception gagna et je me trouvais en face d’un métier pénible. Mehdi n’est en rien différent dans son apparence aux dizaines d’autres dockers aux tenus grises en haillons et aux mines tristes marquées du sceau de l’exténuement et de la trime au travail.
VIES SANS IMPORTANCES
Le souffle coupé, la voix cassée du fait de l’âge, Mehdi continue de creuser dans son histoire en disant : « Quatre ans durant j’ai trainé la mère de mes enfants gravement malade d’hôpital en hôpital sans qu’elle bénéficia de soins véritables jusqu’à ce qu’elle succomba et rendit l’âme dans mes bras ». Lorsque les mots durs lui serrent la gorge et que les larmes coulent de ses yeux profonds, Mehdi arrêta de parler. Ses camarades dockers tentent de le consoler et de détourner le sujet douloureux. Mehdi essuya ses larmes du bout de son turban noir sans que cela atténue les souffrances de sa vie.
Reprenant ses esprits, Mehdi continua en disant : « Il y a une semaine j’étais au lit à l’hôpital. Ce sont mes proches qui ont payé les frais de mes soins. Pourquoi ce port qui m’a ôté mes forces durant des dizaines d’années de travail jusqu’à ce que je sois un homme âgé, ne prend-il pas en charge mes soins ? »
Les visages des dockers tout autour de Mehdi étaient rongés par le chagrin quand il évoqua le cas de leurs camarades morts dans des conditions de misère intolérables après avoir été surexploités sur le quai et les tarmacs du port ; exploitation qui se faisait sous le soleil chaud de l’été et dans le froid de l’hiver sans assurance maladie ni indemnisation contre les risques du métier – à savoir le port des poids lourds sur les épaules et au-dessus des têtes en temps plein.
A LA RECHERCHE DES MOYENS DE SUBSISTANCE
Des sources concordantes au sein des dockers du port estiment à cinq mille le nombre de ceux-ci avec des familles entières derrière eux. Ils travaillent depuis plusieurs décennies dans le cadre précaire du salaire journalier pour subvenir aux besoins de leurs familles et assurer la scolarisation de leurs enfants.
Nombre de dockers s’orientent vers des métiers parallèles pour satisfaire les besoins du souci quotidien en l’absence d’un salaire mensuel permanent et du recul des occasions de rétributions journalières sur la vidange au port des containers qui alimentent en diverses marchandises le gros des marchés de la capitale, ce port qui a été le théâtre il y a trois ans de grandes émeutes de protestations contre les conditions de la main d’œuvre s’y trouvant.
Plusieurs milliers de dockers continuent de travailler dans ces conditions après que les exigences et la dureté de la vie les aient contraints à porter sur leurs épaules les besoins vitaux de tout un peuple.
Cet article est initialement écrit en arabe, ceci est une traduction. La version originale a été publiée sur le site ww.aqlame.com en 2016. Il a été réalisé à la suite d’une formation avancée sur les connaissances juridiques et éthiques permettant d’assurer une meilleure couverture médiatique des droits humains. La production fait partie d’un lot de 20 reportages, qui ambitionnent de stimuler davantage le débat public sur les droits humains en Mauritanie.
FMJDH