Par : Moktar Mohamed Yahya
Talibés, c’est le nom donné aux enfants qui viennent apprendre le coran et les sciences théologiques dans les écoles dites coraniques. Etant entendu que ce sont ces écoles qui prennent en charge ces enfant en leur internat, elles les transforment le plus souvent en mendiants ou dépravés.
« Je ne trouvais pas de quoi satisfaire ma faim et vivais entre les rues et l’école coranique. C’était une situation intenable qui me fait frémir chaque fois que je m’en souviens. Je revenais le soir à l’école, et au lieu de dormir après ma rude journée, le maître me rouait de coups et aspergeait mes oreilles d’invectives ». C’est en résumé ce que nous a dit « Khalifa » l’un des jeunes qui ont vécu dans leur tendre enfance l’expérience de la mendicité.
« On se métamorphosait sous les ordres du maître d’élèves en mendiants et enfants de la rue flânant partout et exposés à tous les dangers. Nous étions la cible d’attaques physiques et verbales de la part d’enfants des quartiers ou nous passions ». C’est ce que raconte le vingtenaire, ravalant ses salives et se souvenant de l’amertume de ces jours qui lui semblaient très longs, marchant pieds nus sur le sable ardent, des fois humides, se faufilant entre les maisons des nantis, quémandant aux passants quelques pièces et aux portes de maisons quelques pitances ».
Le phénomène de la mendicité couvre une zone géographique large dépassant la Mauritanie et où, déclare Sidi Ould Beyada, conseiller à l’information au Ministère des Affaires Sociales et de l’Enfance, la mendicité précoce des enfants issus des écoles coraniques connus dans toute la sous-région qui portent le nom de « Al Moudo » ou « Talibé » représente l’une des plus affreuses formes d’exploitation des enfants dont le temps d’épanouissement est à tort mis au service des autres et l’innocence bafouée dans les rues au vu et su de tout le monde.
AVENIR SOMBRE
Beyada affirme que par la force des choses l’avenir de ces enfants innocents est sombre. Or ce qui ne cesse d’amplifier et compliquer ce phénomène c’est bien le fait qu’il tire sa force d’un héritage socioculturel et anthropologique séculaire pourtant obsolète en ces temps modernes. Beyada affirme aussi que des efforts considérables ont été déployés par plusieurs parties aux fins d’éradication de ce phénomène exécrable. C’est, soutient-il, le cas du Centre de la Protection et de l’Insertion Sociale des Enfants qui relève du Ministère des Affaires Sociales de l’Enfance et de la Famille.
Ce centre consacre le plus clair de ses plans d’action à la lutte contre cette pratique à travers ses sections à Nouakchott et dans les villes considérées comme potentiellement le creusé de cette odieuse pratique. Le conseiller considère que l’effort social à lui seul ne suffit pas à éradiquer l’exploitation des enfants tout en indiquant qu’un autre effort est déployé par le Ministère des Affaires Islamiques pour sensibiliser les imams sur le danger que représente l’exploitation des enfants.
A cela s’ajoute l’effort consenti par la société civile dans ce même domaine. Ils sont peu nombreux les jours où Khalifa ne portait pas sa grande boite de conserve qui lui a été remise pour collecter les dons. Tout en marchant à côté de la maison de sa famille qui l’a jeté dans cet enfer dont elle pensait qu’il est un environnement d’éducation propice, il se rappelle ses déboires qu’il tente de cacher derrière un large sourire qu’il ne savait pas esquisser durant son calvaire.
LA DÉPRAVATION OBLIGATOIRE
Khalifa se souvient comment ils étaient ses compagnons et lui tristes et abattus alors qu’ils arpentaient les avenues sans aucune idée de ce qui pouvait leur arriver, tous comme des jours qui passaient sans savoir, la peur au ventre, le danger qui les guettait, continuant de demander la charité et obligés de tout faire pour dépasser cette peur et espérant au retour ne pas être durement sanctionnés à leur retour la nuit tombée.
Cette situation n’est que celle du seul passé de Khalifa. Elle est aussi celle de milliers d’enfants qui ont transité par cette étape de mendicité dans les dédalles de rues où ils n’ont aucun proche qui puisse leur venir en aide en cas de besoin comme les autres enfants alors qu’au même moment leurs parents lointains pensent qu’ils sont au sont au sein d’une école qui leur procure connaissance et éducation religieuses. Mais au lieu de cela, nombreux parmi eux furent les victimes de la dépravation et sont entrés dans le cercle vicieux du vol et de la criminalité, selon des experts.
Dans un coin de sa maison, Khalifa poste une grande photo qui le montre tenant par ses mains une guitare comme pour faire savoir qu’il a désormais une nouvelle vie et qu’il a substitué cette guitare à sa boite de conserve dans laquelle il recueillait jadis les pitances. Et alors qu’il était dans un état lamentable, son maitre profitait de son innocence pour l’exploiter à travers la main tendue aux passants et devant les mosquées.
SÉQUELLES PSYCHOLOGIQUES INDÉLÉBILES
Khalifa tente, aujourd’hui, de réaliser pour extérioriser ses sentiments vis-à-vis de ce phénomène, un film cinématographique et un documentaire avec les moyens sobres dont il dispose. C’est ce désir ardent qui le pousse à vouloir réaliser un film sur la souffrance d’un talibé de ces écoles de l’errance dont il a vécu le même cheminement -nonobstant sa souffrance qui perdure à cause des séquelles psychologiques négatives d’un passé qui l’a privé de l’amour de sa famille, de son enfance et de l’enseignement. La tentative de Khalifa vient à bon escient malgré sa nouvelle situation qui lui impose une posture difficile, le chômage venant ajouter à sa détresse.
Halima Deida, actrice dynamique de la société civile mauritanienne, dit : « La mendicité des enfants est un phénomène des plus dangereux et des plus dévastateurs de la société. En Mauritanie, elle foisonne dans les environnements où se propagent la pauvreté et l’ignorance ». Et Halima d’ajouter que la mendicité chez les enfants a des conséquences dramatiques sur l’individu et sur la société tout en indiquant que des milliers d’enfants s’adonnent à cette pratique et travaillent dans des métiers douteux qui les entrainent inéluctablement vers la pratique du vol.
L’activiste de la société civile voit qu’un grand nombre d’enfants mendiants finissent par une dérive vers la dépravation et la criminalité. Khalifa en est miraculeusement une rare exception à la règle parvenant au-delà à sortir du monde immonde de la mendicité vers celui de la créativité. Khalifa se demande comment sa société peut entretenir le silence autour de la souffrance de nombreux enfants dans les rues. Il dit à ce propos « On sortait bon temps mal temps tôt le matin, habillé en haillons et presque nus, dans les ruelles alors que la faim nous tenaillait les ventres. Nous n’avions tout simplement pas d’habits nous protégeant des intempéries, et étions forcés de sortir amasser ce qui nous est demandé au préalable de rapporter d’argent et produits alimentaires.
POUSSÉS AU VOL
« On était constamment battus si on revenait les poches vides. C’est cela qui nous poussait des fois à perpétrer des vols pour couvrir ce qui reste du devoir scolaire » –Khalil dit cela avec un amusement qui cache mal sa colère et sa dérision – tout en se souvenant qu’une fois son maître l’avait durement battu jusqu’à ce qu’il ne pouvait plus se tenir assis. Cet incident l’avait poussé à en parler à sa mère qui a tenté de le ramener à la maison pour abréger ses souffrances, mais son père s’y opposa.
Le jeune Khalifa qui nous dévoilant certaines cicatrices sur son corps mettait le doigt sur des cicatrices aux visage tout en espérant que la société s’éveillera pour stopper la souffrance de milliers d’enfants dans nombre de villes mauritaniennes comme Rosso et Boghé au sud et les deux villes de Kaédi et Sélibabi au Nord-est, en plus de la capitale Nouakchott, tout en nous rappelant que chaque jour au coucher du soleil un sentiment diffus vient sans cesse lui rappeler l’humiliation et les châtiments corporels qu’il subissait tous les soirs au même moment où de nombreux enfants endurent encore ce qu’il a connu comme exploitation et humiliation.
Khalifa nous dit aussi « La dernière fois où j’ai été sauvagement battu par le maitre de l’école, j’ai perdu connaissance et j’ai été transporté à l’hôpital où j’ai repris mes esprits entre des murs plus sombres que ceux de mon école la terrible prison. La nouvelle qui m’avait le plus rendu heureux à ce jour fut le refus par ma mère de mon retour dans cette école. Khalifa se souvient de ce temps difficile alors qu’il égrène des notes sur sa guitare comme s’il fuyait vers des mondes lointains, car la guitare représente pour lui le sauveur et le compagnon de vie.
Cet article est initialement écrit en arabe, ceci est une traduction. La version originale a été publiée sur le site ww.aloufouq.com en 2016. Il a été réalisé à la suite d’une formation avancée sur les connaissances juridiques et éthiques permettant d’assurer une meilleure couverture médiatique des droits humains. La production fait partie d’un lot de 20 reportages, qui ambitionnent de stimuler davantage le débat public sur les droits humains en Mauritanie.
FMJDH